Une enseignante du Cégep Saint-Lawrence (ci-après « CSL ») a déposé trois griefs contre son employeur, car celui-ci a injustement déclenché une enquête pour harcèlement psychologique à son endroit. L’arbitre considère que l’employeur a abusé de ses droits lors de l’enquête et que ce comportement fautif a porté atteinte à la dignité et l’intégrité psychologique de la plaignante, et ce, en plus de créer un milieu de travail néfaste pour elle.
Sentence arbitrale rendue le 1er mai 2024
Faits
Depuis 2019, le CSL subit des changements majeurs en matière de restructuration institutionnelle et de gouvernance, à la suite d’un mouvement prônant une plus grande autonomie pour les établissements affiliés. La plaignante, qui travaille au cégep depuis 35 ans, fait partie de ce mouvement et siège comme représentante des enseignants au Conseil d’établissement (CE) du CSL.
Des difficultés sont toutefois vécues dans les différents comités de gouvernance en vertu des divergences d’allégeances et des incompréhensions qui subsistent en matière des rôles et responsabilités des différentes instances depuis la restructuration. En mai 2021, l’employeur mandate donc une firme externe afin d’examiner le climat organisationnel et les pratiques de gouvernance. Plus tard, en décembre 2021, la Direction des enquêtes du ministère de l’Enseignement supérieur intervient également pour évaluer la situation.
Dans le cadre de ces enquêtes, la plaignante sera rencontrée à plusieurs reprises, notamment à titre d’employée du CSL. Elle apprend qu’elle est finalement visée par une plainte de harcèlement psychologique et de « mobbing » émanant du comité de direction. Profondément consternée et troublée, elle est dans une incompréhension totale quant aux faits que l’on pourrait bien lui reprocher.
S’en suit alors un processus particulièrement douloureux pour la plaignante qui dura plus d’un an et au cours duquel elle est : (1) tenue dans l’ombre pendant des mois à l’égard des auteurs et des faits découlant des plaintes portées à son endroit (2) isolée de ses collègues en raison d’un protocole instauré pour protéger l’intégrité de l’enquête (3) forcée de faire des demandes d’accès à l’information pour obtenir certains documents relatifs aux plaintes déposées contre elle.
C’est dans ce contexte qu’elle déposa trois griefs (tous accueillis) reprochant à son employeur des abus dans le cadre de l’enquête en cours, du harcèlement psychologique à son égard, ainsi que le manquement à son obligation de lui fournir un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
Analyse
L’arbitre conclut que le mécanisme de plainte a été utilisé de manière incorrecte en raison de l’absence de comportements vexatoires de la part de la plaignante à l’endroit du comité de direction. À cet effet, le protocole d’enquête n’aurait même pas dû être mis en marche, ayant franchi le seuil de recevabilité sur la base de simples suppositions.
Tel que le démontre la preuve dans cette affaire, les plaintes visant la plaignante n’étaient même pas issues de l’ensemble du comité de direction, contrairement à ce qui lui avait été communiqué, mais provenaient uniquement du directeur général. Celui-ci « souhaitait dépister les personnes qui remettaient en question certaines de ses opinions ou décisions, sans être en mesure, au moment d’entreprendre le processus de plainte, de cibler un seul comportement vexatoire. » (Par. 154 de la décision) Ainsi, la plaignante a été visée en raison du simple fait qu’elle était une leader au CSL et non en raison d’une preuve remettant en question ses gestes ou comportements. À ce titre, l’arbitre estime que le directeur général a engagé la responsabilité de l’employeur et que ce dernier a commis un abus d’autorité.
Or, pour une raison obscure, malgré l’absence des critères justifiant le dépôt d’une plainte, le seuil de recevabilité a néanmoins été franchi, entraînant ainsi l’ouverture d’une enquête visant la plaignante. En l’espèce, cette enquête eut pour effet de causer des troubles psychologiques chez l’intéressée, notamment en raison de l’isolement et du stress éprouvé tout au long du protocole. En effet, l’arbitre rappelle que le simple fait de recourir à une firme externe « ne permet pas d’agir n’importe comment. […] [L’employeur] est responsable de s’assurer que les droits de tous soient respectés – y compris ceux des présumés harceleurs -, et ce, même lorsque c’est un cadre qui se plaint. » (par. 157 de la décision)
À ce titre, l’arbitre conclut également que l’employeur a commis un geste grave et vexatoire et qu’il est l’auteur d’harcèlement psychologique. Celui-ci n’a pas réussi à démontrer qu’il avait pris les moyens raisonnables pour prévenir ce harcèlement ni pour y mettre fin, notamment en tardant de lever le protocole de communication, ce qui empêchait la plaignante de communiquer librement avec ses collègues et amis.
Pour ces raisons, l’arbitre écarte les prétentions de l’employeur et lui donne tort sur toute la ligne.
Commentaires
Cette affaire est loin d’être close. Depuis que cette sentence arbitrale a été rendue, trois pourvois en contrôle judiciaire ont été déposés dans ce dossier :
- Pourvoi en contrôle judiciaire, 2024-06-21 (C.S.) 200-17-036338-242.
- Pourvoi en contrôle judiciaire, 2024-06-25 (C.S.) 200-17-036344-240.
- Pourvoi en contrôle judiciaire, 2024-06-27 (C.S.) 200-17-036365-245.
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