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Une auteure accuse des professeurs d’université de plagiat pédagogique

Une auteure de manuels scolaires accuse des professeurs universitaires d’avoir plagié sa méthode d’enseignement dans un portfolio destiné aux futurs CPA. Entre droits d’auteur, liberté académique et blessures morales, la Cour supérieure tranche : les idées n’appartiennent à personne : mais leur expression, oui.


Deslauriers c. Michaud 2023 QCCS 3340


Propriété intellectuelle — Droit d'auteur — Matériel pédagogique — Plagiat — Violation de politiques universitaires


FAITS


Sylvie Deslauriers est l’auteure de manuels de préparation à l’examen final commun de Comptables professionnels agréés (CPA) Canada et possède sa propre société d’édition, AB+ Publications.


En 2023, Mme Deslauriers intente une poursuite contre plusieurs professeurs de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) pour avoir rédigé un portfolio d’apprentissage pour les étudiants, lequel plagierait et incorporerait substantiellement sa « Méthode Deslauriers ».


L’auteure soutient que les professeurs ont porté atteinte à ses droits d’auteur et sa réputation, en omettant volontairement de citer sa méthode dans leur portfolio. Elle plaide qu’en plus d’avoir effectué de la contrefaçon au sens de la Loi sur le droit d’auteur, les professeurs auraient violé les politiques internes de leurs universités respectives.


Mme Deslauriers soutient aussi que cette appropriation non reconnue lui a causé une blessure psychologique grave, une baisse drastique des ventes de ses manuels ainsi qu’une annulation de contrats potentiels. En effectuant sa demande, l’auteure souhaite que le tribunal interdise toute contrefaçon de ses œuvres ainsi que tout propos portant atteinte à sa réputation et son intégrité professionnelle.


De leur côté, les professeurs de l’UQAR et l’UQAC allèguent que la demande de Mme Deslauriers est abusive. Le portfolio a été développé par un collectif de professeurs avec l'objectif d'aider les étudiants en comptabilité, notamment en matière d'autoévaluation et d'organisation des notes. La version finale du portfolio a d’ailleurs été cédée à l'Ordre des CPA du Québec.


Dans cette affaire, la Cour supérieure se penche sur le litige tout en rappelant plusieurs principes clés en matière de droit d’auteur au Canada.


ANALYSE


Principes clés en matière de droit d’auteur


Selon la Loi sur le droit d’auteur, ce droit protège toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale. Dans l’affaire Université York, la Cour suprême du Canada explique que le droit d’auteur vise à trouver l’équilibre entre la création et la diffusion d’œuvres artistiques, tout en offrant une juste récompense à son créateur.


Le droit d’auteur protège l’expression des idées dans les œuvres, et non les idées comme telles; l’idée appartient à tout le monde, alors que l’œuvre littéraire appartient à son auteur. Pour être protégée par la loi, l’œuvre doit être originale, c’est-à-dire que son auteur doit faire preuve de talent et de jugement, et ne doit pas être le fruit d’une simple mécanique.


De plus, ce droit ne s'étend pas aux faits, idées, concepts, méthodes ou styles, car ceux-ci font partie du domaine public ou du « patrimoine public ». Contrairement au droit des brevets, qui protège les idées nouvelles appliquées à des procédés ou méthodes utiles, le droit d'auteur ne confère pas de monopole sur une méthode ou un concept.


Constitue une violation du droit d'auteur la reproduction sans consentement d'une « partie importante » de l'œuvre. L'importance de la violation est habituellement jugée plus sur la qualité que sur la quantité, tout dépendant de la nature de l’œuvre ; pour les œuvres contenant un contenu objectif, il sera exigé un plus fort degré de similitude.

 

Décision de la Cour dans l’affaire


L’auteure plaide que le portfolio constitue une contrefaçon de sa méthode d’enseignement présentée dans ses œuvres littéraires. La méthode de Mme Deslauriers est constituée de plusieurs techniques d’apprentissage pour les étudiants, telles que noter ses forces et faiblesses, conceptualiser à l’aide de schémas, utiliser un code de couleur pour annoter, visualiser la matière avec des diagrammes ou encore créer des fiches de notes.


La Cour conclu qu’aucune des méthodes revendiquées par l’auteure n’est protégée. En effet, Mme Deslauriers tente de protéger des idées, concepts ou méthodes, plutôt que l’expression originale de ses idées. Par exemple, le tribunal considère que l’utilisation d’un schéma de concepts constitue une idée générique non protégée par la loi, en ajoutant que le concept d'autoévaluation et de fiches de notes existait avant les publications de Deslauriers, faisant partie des « règles de l'art » de l'enseignement des sciences comptables.


Le tribunal a conclu qu'il n'y a « aucune reproduction des Manuels des demanderesses ni contrefaçon » (paragraphe 127). La preuve a démontré que le portfolio a été créé de manière indépendante des manuels de Mme Deslauriers. Même si les professeurs connaissaient les travaux de l’auteure; les similitudes sont dues au fait que les œuvres traitent des mêmes sujets, qui sont des faits non protégeables.

 

Responsabilité des professeurs


L’auteur soutient que les professeurs sont responsables en vertu du régime de responsabilité civile extracontractuelle pour leur plagiat. Cependant, le tribunal rappelle que les politiques universitaires ne peuvent pas créer un tel recours civil. Les universités mettent en place des processus pour le dépôt d’une plainte, son examen et son traitement. C’est seulement une fois que le plaignant a épuisé ce recours qu’il peut se tourner vers les tribunaux.


Bien que le tribunal reconnaisse que l’auteure a vécu du stress et une blessure profonde, il n’a pas pu conclure à une faute de la part des professeurs : « Il n’y a ni atteinte à la réputation et à l’intégrité professionnelle ni propos diffamatoires » (paragraphe 140).


En rappelant que seules les expressions originales sont protégées, et non les idées ou concepts, la Cour supérieure rejette donc les prétentions de l’auteure.

 



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