Quand l’enquête devient l’atteinte : deux professeures indemnisées pour surcharge et détresse
- Maé Guignat
- 15 sept.
- 3 min de lecture
Syndicat des professeurs et professeures de l’université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, 2025 CanLII 59133 (QC SAT)
Après une enquête épuisante, deux professeures de l’UQTR obtiennent gain de cause : l’université devra les indemniser pour la surcharge de travail et la détresse vécue à cause du processus. Le tribunal rappelle qu’un employeur ne peut se cacher derrière l’impartialité d’une enquête pour abandonner ses employés.
FAITS
En 2021, trois professeures du Département des sciences infirmières à l’Université du Québec à Trois-Rivières sont visées par des plaintes pour harcèlement et discrimination de la part d’une étudiante.
Suite au dépôt des plaintes, Mme Longpré, Mme Picard et Mme Cloutier doivent répondre à un total de 123 allégations. Selon la preuve, Mme Longpré a consacré environ 490 heures à l'enquête, incluant la rédaction d'un document de 208 pages et une annexe de 128 pages. Celle-ci aurait également fourni près de 500 courriels. De son côté, Mme Picard a investi environ 269 heures à l’enquête, malgré un congé de perfectionnement. Enfin, Mme Cloutier a passé 102 heures sur les procédures. L’enquête a pris une grande ampleur; le contenu des déclarations des enseignantes étant constitué de près de 600 pages.
À l’issue d’une longue enquête ayant duré plus d’un an et demi, l’enquêtrice externe conclut que les plaintes sont non fondées, bien qu’un conflit existe entre l’étudiante et les trois professeures.
En réaction, le syndicat des professeurs et professeures de l’UQTR réclame un dédommagement pour la surcharge de travail démesurée que l’enquête a générée pour les professeures. Le syndicat ajoute également que l’employeur a abandonné ses employés dans une situation extrêmement contraignante et stressante, et devrait être condamné à leur verser des dommages moraux. Les professeures indiquent être déçues de ne pas avoir été protégées par leur employeur face à de fausses allégations qui ont empiété sur leur santé mentale et leur travail.
En juin 2025, un tribunal d’arbitrage tranche en faveur du syndicat, en rappelant qu’inaction n’est pas synonyme d’impartialité.
ANALYSE
Le tribunal souligne que l’employeur, en tant que mandant de l’enquêtrice externe, est responsable de ses actes. Même si l’enquêtrice dispose d’une certaine latitude pour déterminer l’ampleur de son enquête, l’employeur, une fois informé, ne peut à la fois approuver ce choix et imposer aux employés visés d’y collaborer, sachant que la démarche retenue entraînera une surcharge de travail pour eux. De plus, le pouvoir de gestion de l’employeur, qui inclut le droit d’enquêter, est assujetti aux exigences de la bonne foi, tel que prévu aux articles 6 et 7 du Code civil du Québec.
La faute de l'UQTR ne réside donc pas dans le choix de la méthode d'enquête, mais dans son inaction après avoir été alertée de ses conséquences potentielles sur les professeures. L’arbitre ajoute que l’UQTR aurait pu, sans compromettre l’impartialité de l'enquête, discuter des modalités avec l'enquêtrice, alléger la tâche des professeures, ou encore leur offrir une compensation ou un congé.
Selon le tribunal, il y a eu un renversement du fardeau de preuve. En effet, en raison des multiples demandes des enquêteurs de corroborer les faits reprochés, les enseignantes ont dû fournir un travail colossal afin d’exposer leur version. Puis, la preuve médicale démontre l’existence d’un trouble de l’humeur et une souffrance psychologique chez Mme Longpré et Mme Picard, vraisemblablement causées par l’ampleur du processus. L’employeur avait le devoir de faire appliquer sa politique de prévention contre le harcèlement psychologique, qui doit également protéger le corps professoral.
En raison de la surcharge de travail et de l’inaction de l’UQTR pendant l’enquête, le tribunal condamne l’employeur à compenser les deux enseignantes, la situation de Mme Cloutier étant jugée moins grave. Cette affaire démontre donc les limites d’une enquête interne lorsque l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires pour encadrer son déroulement et protéger ses employés. Bien que les plaintes aient été jugées non fondées, l’inaction de l’UQTR a eu pour effet d’exposer les professeures à une charge de travail disproportionnée et à des conséquences psychologiques importantes. En rappelant que la bonne foi et la prévention doivent guider l’exercice du pouvoir de gestion, le tribunal envoie un message clair : l’employeur ne peut se soustraire à ses responsabilités sous prétexte de neutralité.




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