Politique étudiante contestée à McGill : la Cour d’appel tranche en faveur de la liberté d’expression
- Maé Guignat
- il y a 19 minutes
- 5 min de lecture
L’association étudiante de l’Université McGill adopte par référendum une Politique contre le génocide en Palestine, suscitant une controverse sur le campus. Une étudiante opposée à cette initiative tente de bloquer sa mise en œuvre par voie judiciaire, invoquant des risques pour sa sécurité et des atteintes à ses droits. Après une décision favorable en première instance, la Cour d’appel renverse le jugement et réaffirme l’importance de la liberté d’expression en milieu universitaire.
Association étudiante de l'Université McGill c. X, 2025 QCCA 475 (CanLII).
Faits
À l’automne 2023, l’association étudiante de l’Université McGill appelle ses membres à se prononcer par référendum sur l’adoption d’une Politique contre le génocide en Palestine. Cette Politique vise à faire pression sur l’Université afin qu’elle adopte des gestes concrets et une prise de position ferme face au conflit israélo-palestinien.
Une étudiante du premier cycle, agissant sous le nom de « X » dans cette affaire, s’oppose à l’adoption d’un tel positionnement. Soutenant l’État d’Israël, elle décide de faire campagne à titre de présidente pour le camp du « Non » dans ce référendum, en incitant les étudiants à voter contre l’adoption de la Politique.
Le 17 novembre 2023, X dépose une demande d’injonction provisoire et interlocutoire contre l’association étudiante afin de suspendre la tenue du référendum. Celui-ci a tout de même lieu quelques jours plus tard ; la Politique est adoptée à près de 80 % des voix par les membres ayant voté.
L’étudiante dépose dans les jours suivants le référendum une demande dans laquelle elle réclame la somme de 125 000 $ pour dommages moraux et punitifs à l’association étudiante, en plus de demander une injonction permanente qui empêcherait la mise en œuvre ainsi que la ratification de la Politique, sous prétexte que celle-ci contreviendrait à la constitution de l’association, qui promeut des valeurs de respect et de non-discrimination.
Désirant demeurer anonyme lors des procédures judiciaires, l’étudiante dépose également une demande d’ordonnance de confidentialité, en soutenant que la diffusion de son identité pourrait nuire à sa sécurité physique et à sa santé mentale.
Le juge de première instance ordonne la non-publication et non-divulgation de l’identité de l’étudiante, lui permettant de préserver son anonymat lors des procédures judiciaires. Le juge accueille la demande d’injonction en interdisant à l’association étudiante de ratifier et de mettre en œuvre la Politique contre le génocide en Palestine adoptée par les étudiants à la suite du référendum, estimant que ses effets seraient trop préjudiciables.
Le 17 avril 2025, la Cour d’appel renverse entièrement cette décision en indiquant que le juge de première instance a commis plusieurs erreurs dans son jugement.
Analyse
Confidentialité de l’étudiante
La Cour d’appel soutient que la demande de confidentialité déposée par l’étudiante aurait dû être rejetée. Dans son jugement, la Cour d’appel réitère l’importance du principe de la publicité des débats, un principe phare de notre système qui renforce la confiance du public envers les institutions judiciaires ainsi que l’indépendance et l’impartialité des tribunaux.
Il est possible de déroger exceptionnellement à ce principe dans certains cas d’enjeux d’intérêt public importants, en appliquant le test établi par la Cour suprême dans l’arrêt Sherman.
En l’espèce, aucun risque sérieux pour la sécurité physique de l’étudiante découlant de la publicité du débat judiciaire n’a été démontré. En clair, aucun élément de preuve concret n’a permis de déterminer que le fait de révéler publiquement l’identité de X dans le cadre de cette procédure augmenterait son risque de danger physique réel.
Pour la Cour d’appel, le juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en surévaluant la gravité des commentaires reçus par l’étudiante par le biais des réseaux sociaux et en reliant à tort le climat social tendu à la situation spécifique de X dans la procédure judiciaire.
Injonction
Lorsqu’il est question de restreindre la liberté d’expression, l’injonction est une mesure exceptionnelle qui ne devrait être accordée seulement si un discours est illégal ou impossible à justifier, et non s’il est « simplement discutable », soutient la Cour d’appel. Cependant, cette dernière estime qu’il n’a pas été prouvé que la Politique contre le génocide en Palestine est diffamatoire ou haineuse envers un groupe d’étudiants.
Le juge de première instance avait considéré que la question principale de l’affaire était de savoir si la Politique contrevenait à la constitution de l'association. La Cour d'appel corrige cette interprétation, affirmant qu'il s'agit incontestablement d'une affaire relative au respect de la liberté d'expression d'une association étudiante voulant ratifier et mettre en œuvre une Politique adoptée démocratiquement.
Le juge de première instance a donc erré en choisissant le mauvais cadre applicable à l'octroi de l'injonction, selon la Cour d'appel. De plus, il a commis des erreurs dans l’évaluation des trois critères cumulatifs nécessaires à la délivrance d'une injonction interlocutoire : l'apparence de droit, l'existence d'un préjudice sérieux ou irréparable, et la balance des inconvénients.
La Cour d’appel rappelle que les tribunaux devraient éviter s’immiscer dans les affaires de personnes morales de droit privé telles que les associations étudiantes. Ici, le premier juge n’avait pas à prononcer l’injonction, puisque les recours internes pour régler cette situation n’ont pas été épuisés. Avant de faire appel aux tribunaux, l’étudiante aurait dû se tourner vers l’Université McGill afin de gérer cette affaire à l’interne à travers le mécanisme de règlement des conflits prévu à cet effet.
X n’a pas démontré l’existence d’un préjudice irréparable si la Politique était mise en œuvre. Le préjudice repose sur des craintes subjectives et hypothétiques, alors que selon le test, le préjudice doit être actuel et imminent. En droit, un individu ne peut baser sa demande d’injonction sur le préjudice potentiel d’une communauté ou d’un groupe, mais seulement sur son propre intérêt direct et personnel. Selon le jugement, la preuve n’a pas démontré l’existence d’un préjudice personnel, direct, concret et actuel à l’égard de l’étudiante.
Le premier juge a estimé que la balance des inconvénients penchait en faveur de l'injonction, notamment parce que la Politique resterait en vigueur jusqu'en 2028 sans mécanisme d'abrogation, ce qui entraînerait une « violation continue de la dignité humaine ». La Cour d'appel conclu qu’au contraire, compte tenu de l'absence d'apparence de droit et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients penche sans équivoque en faveur de l'association étudiante. En effet, la Politique a été adoptée à plus de la majorité des voix dans un vote référendaire étudiant : bloquer son adoption impliquerait d’empêcher l’application d’une décision collective et freiner la liberté d’expression des étudiants. L'analyse du juge sur le caractère potentiellement antisémite de la Politique et l'atteinte à la dignité de l'intimée n'étant pas suffisamment étayée, la Cour d’appel estime qu’il est trop dommageable de censurer des milliers d’étudiants au profit de cette demande.
Pour ces raisons, les demandes de l’étudiante sont rejetées.
« L’Université est certainement un lieu par excellence d’expression, d’idées et d’opinions de tout acabit sur des sujets variés, voire controversés, touchant aux grands enjeux sociaux et politiques de notre société. Comme le rappelait d’ailleurs récemment la Cour suprême, [l]a liberté d’exprimer des opinions consensuelles et inoffensives n’est pas la liberté. »
Association étudiante de l'Université McGill c. X, 2025 QCCA 475 (CanLII), par 76
Comments