En rédigeant un courriel faisant état des accusations d’agression sexuelle contre le professeur et en l’envoyant à divers collègues, membres de la direction facultaire, confrères de leur milieu de recherche et au fils du professeur, la professeure-plaignante avait eu un comportement diffamatoire.
Sentence arbitrale rendue le 29 juillet 2022
Syndicat général des professeurs et professeures de l'Université de Montréal (SGPUM) et Université de Montréal (griefs individuels), 2022 QCTA 327
Relation de pouvoir – Professeur – Agression sexuelle – Diffamation – Dénonciation – Atteinte à la réputation – Grief – Syndicat – Harcèlement psychologique – Université – Menaces de mort – Chercheurs
Faits
Une étudiante au doctorat (ci-après « Madame »), plus tard devenue professeure, a été supervisée par deux co-directeurs, dont un homme (ci-après « Monsieur ») qui deviendra peu après un partenaire de relations intimes.
Ainsi, lors de divers déplacements professionnels à travers le Québec, le Canada et le reste du globe, Monsieur et Madame se sont adonnés à des relations sexuelles. Après l’obtention du doctorat de Madame, soit lors de son emploi à l’université à titre de chercheure à la Chaire de recherche en salubrité des viandes, leurs relations intimes ont continué. Il est important de noter que Monsieur dirige cette chaire et qu’il occupe des fonctions administratives au sein de la faculté de médecine vétérinaire, faculté dans laquelle il est professeur et Madame a complété son doctorat. Même après la promotion de Madame au poste de professeure agrégée, ils continuaient d’entretenir leurs relations intimes qui, par ailleurs, étaient totalement secrètes.
Après quelques 20 ans de relations intimes, Madame et Monsieur, maintenant tous deux professeurs titulaires, ont décidé de mettre fin à cette situation. Quelques années plus tard, Madame dépose une plainte auprès de l’université et du service de police de sa région pour agression sexuelle contre Monsieur. Ayant le sentiment qu’aucune mesure n’avait été prise par l’université, Madame divulgue ses allégations par l’entremise d’un courriel transmis à une « trentaine de personnes, essentiellement des collègues et des étudiants de Monsieur pour accuser Monsieur ni plus ni moins d’agressions sexuelles et de fraude » (paragraphe 521 de la sentence arbitrale). Elle a également envoyé ledit courriel au fils de Monsieur.
Lors de l’enquête sur la situation menée par une firme mandatée par l’université, Madame a fait parvenir à Monsieur une lettre dans laquelle elle lui fait part, sur un ton assez agressif, de diverses « mises en garde », insultes et propos dégradants. Elle fait par ailleurs allusion à ses armes à feu en écrivant que « [ses] amis à [son] club de tir demandent comment [elle] fai[t] pour être si précise à la cible en utilisant [son] Beretta Ruger SR1911 pour femme et encore plus surprenant, [son] Heckler & Koch P30 à la salle de tir » (paragraphe 544 de la sentence arbitrale).
Monsieur allègue donc que Madame l’a diffamé et l’a harcelé psychologiquement en raison de ces événements.
La firme en charge de l’enquête a conclu que les accusations de Madame n’étaient pas fondées, alors que celles de Monsieur l’étaient.
L’université congédie donc Madame sans préavis. Cette dernière dépose deux griefs afin de contester cette décision.
Analyse
Avant d’analyser la raisonnabilité de la décision de l’université, l’arbitre devait faire le point sur la situation d’agression sexuelle alléguée et la situation de diffamation alléguée. Ainsi, ce dernier a conclu, après avoir entendu la preuve, que les allégations d’agression sexuelle de Madame étaient mal fondées. D’autre part, l’arbitre a retenu les allégations de diffamation et de harcèlement psychologique de Monsieur.
Selon l’arbitre, « le rapport de force entre Madame et Monsieur était inégal pendant une grande partie de la période analysée (20 ans) et suffisant pour laisser planer un doute sérieux sur le caractère non désiré de certains rapports sexuels relatés [lors des premières années] » (paragraphe 7 de la sentence arbitrale). En revanche, l’arbitre disposait de preuves insuffisantes pour conclure à une quelconque exploitation ou contrainte de la part de Monsieur pour les actes sexuels et ne pouvait ainsi conclure à l’existence d’agressions sexuelles. Ainsi, malgré la relation inégale étudiante-superviseur de thèse et le témoignage de Madame faisant état de l’emprise que Monsieur avait sur elle, l’arbitre n’a pas conclu à un consentement altéré.
En se penchant sur les allégations de Monsieur, l’arbitre a conclu que Madame l’avait diffamé. En effet, en rédigeant un courriel dans lequel elle déclarait avoir été victime d’agressions sexuelles de Monsieur pendant 20 ans et soutenait que ce dernier avait fraudé plusieurs milliers de dollars à l’université et, en l’envoyant à diverses personnes proches de Monsieur, Madame a eu un comportement diffamatoire. La nature diffamatoire de propos s’analyse en fonction de la perception qu’aurait une personne ordinaire. En l’occurrence, une personne raisonnable aurait jugé les propos de Madame comme étant diffamatoires. Dans le cas où une telle personne arriverait à la conclusion que les propos ont déconsidéré la réputation de la victime, le tribunal pourra également conclure à de la diffamation. En conséquence, trois situations sont susceptibles d’être qualifiées de diffamation (Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, par. 36) :
« (1) lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux;
(2) lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses; et
(3) lorsqu’une personne médisante tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers. »
Aussi, en lui envoyant une lettre dans laquelle elle faisait allusion à ses capacités de manier des armes et dans laquelle elle employait un ton menaçant, Madame a tenu des propos assimilables à des menaces de mort.
La diffamation et les menaces de mort de la part de Madame ont été interprétés comme étant des conduites vexatoires par l’arbitre, lui permettant ainsi de conclure à du harcèlement psychologique contre Monsieur. En effet, lorsque les autres éléments du harcèlement psychologique sont présents (répétition ou gravité, atteinte è la dignité ou à l’intégrité, milieu de travail néfaste et comportement hostile ou non désiré), la jurisprudence a reconnu que la diffamation pouvait constituer du harcèlement psychologique. Dans le même ordre d’idée, les menaces de mort peuvent « constituer une seule conduite grave permettant de conclure à une conduite vexatoire en l’absence de répétition » (paragraphe 504 de la sentence arbitrale). L’arbitre a donc conclu que Madame avait fait du harcèlement psychologique à l’égard de Monsieur.
Puisque Madame avait réfléchi avant de rédiger le courriel et la lettre et puisqu’elle était motivée par un désir de vengeance, l’arbitre a conclu qu’elle était susceptible de récidiver. De plus, Madame n’a jamais démontré aucun remord et ne s’est jamais excusée auprès de Monsieur, ce qui a contribué à démontrer à l’arbitre qu’elle était à un haut risque de récidive. En conséquence, l’arbitre a conclu que le congédiement de Madame était justifié en raison d’une réhabilitation invraisemblable à court terme. Par ailleurs, vu la violence des menaces de mort transmises à Monsieur, l’arbitre a également justifié le congédiement sur cette base.
Ainsi, dépendamment de la gravité de la violence ou de la menace prodiguée par un employé, une université peut être justifiée de congédier l’employé sans devoir lui laisser une quelconque chance de changer son comportement.

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