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Une prise de parole controversée propulse un professeur au cœur d'un débat sur la liberté académique.

La saga opposant le professeur Patrick Provost à l’Université Laval connait un nouveau chapitre. Bien que le tribunal réduise la durée de la sanction initiale de huit à quatre semaines, il confirme que le professeur a enfreint les règles de la politique de conduite responsable en recherche en diffusant des informations scientifiquement incomplètes et biaisées, tout en rappelant que la liberté académique n’est pas un droit illimité.


Sentence arbitrale rendue le 31 mars 2025



Droit du travail – Mesure disciplinaire – Liberté académique – Suspension – Syndicat – Convention collective – Université – Emploi – Professeur – Recherche – Rigueur scientifique – Grief – Santé publique – Vaccination – Prise de parole publique – Conduite responsable en recherche – Arbitrage


Faits


Le 7 décembre 2021, le professeur Patrick Provost prend part à une conférence publique organisée par le groupe Réinfo Covid Québec. Devant un public sans formation scientifique, il soutient que les enfants âgés de cinq à onze ans courent plus de risques que de bénéfices à recevoir le vaccin contre la COVID-19. Il affirme notamment que les essais cliniques auprès de cette tranche de la population auraient été menés sans groupe de contrôle et s’appui sur une base de données américaine pour évoquer des milliers de décès supposément liés à la vaccination. Dans les jours suivants, l’intervention du professeur Provost est partagée sur les médias sociaux, ainsi que par courriel à plus de 1700 collègues.


En janvier 2022, une plainte déposée par un professeur de l’Université Laval enclenche le processus disciplinaire prévu par la convention collective. L’Université met sur pied un comité chargé d’épauler la vice-rectrice quant à l’exactitude scientifique des propos tenus par le professeur Provost lors de son allocution. Après analyse du dossier et de la version des faits transmise par le professeur, le comité remet ses conclusions à la vice-rectrice, qui décide en juillet 2022 d’imposer une suspension disciplinaire de huit semaines sans salaire pour manquement aux règles de conduite responsable en recherche. Deux griefs sont déposés : l’un par le professeur lui-même, l’autre par le syndicat, contestant tant la procédure que le fond de la sanction, en invoquant, entre autres, une atteinte à sa liberté académique.


Analyse


Une allocution qui manque de rigueur


Le tribunal conclut d’abord que l’intervention publique de Patrick Provost relève bel et bien de ses fonctions professorales. Il souligne que le professeur y participe « en sa qualité de scientifique » et qualifie son allocution d’« exercice de vulgarisation scientifique » (par. 342). Selon l’arbitre, il critique « des connaissances acquises dans un domaine du savoir » (par. 341) et s’inscrit dans une démarche de recherche, création et diffusion d’un savoir alternatif. Il ne s’agit donc pas d’une simple opinion personnelle exprimée dans l’espace public, mais bien d’une communication rattachée à ses fonctions universitaires. Ce constat soumet donc l’intervention aux obligations professionnelles en matière de rigueur, d’exactitude et de responsabilité dans la transmission du savoir.


L’analyse du contenu de l’allocution révèle plusieurs manquements : « une quête du savoir qui n’est pas authentique, un manque de rigueur et une diffusion non responsable » (par. 475). L’un des plus graves concerne l’utilisation d’une base de données américaine sur les effets secondaires des vaccins. Le professeur y puise un chiffre élevé de décès prétendument liés à la vaccination contre la COVID-19, sans mentionner qu’il s’agit d’un registre de signalement volontaire qui ne permet d’établir aucun lien de causalité. Le tribunal estime qu’il connaissait ces limites, mais a choisi de les taire, ce qui constitue un biais de confirmation. Le même constat est fait à propos des essais cliniques pédiatriques : bien qu’il admette finalement en audience qu’un groupe de contrôle était présent, cette information est absente de ses interventions initiales. Selon l’arbitre, cette omission a renforcé une fausse perception chez le public.


Ces lacunes sont jugées d’autant plus sérieuses qu’elles ont été diffusées dans un contexte de grande sensibilité sociale. Le tribunal conclut que le professeur a alimenté l’inquiétude du public en diffusant des informations inexactes, sans les nuances nécessaires, et dans une intention qui ne relevait pas d’une véritable « quête du savoir » (par. 680). Il souligne aussi le paradoxe d’un chercheur accusant le discours dominant de faire peur, tout en adoptant lui-même une posture visant à « inquiéter le public » par une présentation biaisée (par. 490).


Portée et limites de la liberté académique


Le cœur de la décision repose sur une conception exigeante de la liberté académique. Le tribunal reconnaît que cette liberté protège l’expression d’idées minoritaires, même controversées, lorsque le professeur agit dans le cadre de ses fonctions. Toutefois, cette protection n’est pas inconditionnelle ; elle « n’autorise pas à dire n’importe quoi » (par. 681). Elle s’accompagne d’exigences précises : l’expression doit reposer sur une démarche rigoureuse, une méthode structurée et une présentation fidèle de l’état des connaissances.  


Le tribunal considère que le professeur n’a pas respecté ces conditions et note que son ancienneté, loin d’atténuer la gravité des manquements, constitue un facteur aggravant. Selon l’arbitre, plus l’expérience est grande, plus les attentes en matière de rigueur sont élevées. Il ajoute que l’enjeu n’est pas la controverse elle-même, mais bien l’abandon des standards de rigueur. Lorsque ceux-ci sont absents, il ne subsiste que des affrontements d’opinions sans fondement, que l’arbitre qualifie de « combats de dogmes », et la rigueur, rappelle-t-il, « s’oppose au faux » (par. 687). Le tribunal précise ainsi que les nombreuses années d’expérience du professeur auraient dû se traduire par un degré de prudence accru.


Le tribunal formule également certaines critiques à l’endroit de l'établissement universitaire. Il reproche à la vice-rectrice d’avoir jugé, dès le départ, que la démarche de conciliation prévue à la politique disciplinaire ne s’appliquait pas, en raison de la nature du dossier. Or, selon l’arbitre, cette étape aurait pu être envisagée malgré le contexte particulier. Il note aussi que l’expression « exercice de désinformation » utilisée dans la lettre de sanction relève davantage de l’opinion de la vice-rectrice que d’un constat fondé sur une analyse complète du dossier à ce moment-là.


Le tribunal compare enfin la fonction des politiques de conduite responsable en recherche à celle du Code de la sécurité routière : des outils destinés à encadrer les comportements et à permettre des sanctions en cas d’écart. Cette analogie, qui rattache ces politiques à un régime normatif formel, pourrait susciter des débats quant à la distinction entre règles éthiques et normes disciplinaires.


Bien que ces éléments n’entachent pas la validité de la décision disciplinaire, ils sont considérés dans l’évaluation de la sanction imposée. À cet effet, le tribunal juge que les reproches formulés contre le professeur sont sérieux, mais que la suspension devait être réduite à quatre semaines sans salaire.




 
 
 

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