La Cour d'appel du Québec donne des indications sur les droits des brevetés
Arrêt rendu le 14 février 1978
Marchand c. Péloquin, (1978) 45 C.P.R. (2 d) 48 (C.A.); [1978] C.A. 266
Loi sur les brevets – Travaux conjoints – Cobrevetés – Droit anglais – Droit canadien – Application au Québec – Absence de convention – Droits des propriétaires – Droit des indivisaires – Licence d’exploitation
Faits
Cette décision met en scène des relations contractuelles complexes et évolutives. Essayons de clarifier le tout. Un inventeur s’allie avec un comptable pour exploiter une invention qui sera brevetée. L’entente est simple : 65 % des intérêts et profits pour l’inventeur et 35 % pour le comptable. Ils forment une société. La société prend entente avec une compagnie. Les profits de la vente de l’invention seront partagés ainsi : 40 % pour la compagnie et 60 % pour la société (respectivement, 39 % pour l’inventeur [65 %] et 21 % pour le comptable [35 %]).
Les choses se complexifient : le comptable cède partiellement ses droits à un tiers et l’inventeur cède tous ses droits à la compagnie. Le comptable (et le tiers) souhaite obtenir leur part dans les profits générés par la compagnie. La Cour supérieure donne droit au comptable (et le tiers), mais la compagnie appelle de la décision. Après une saga judiciaire, la Cour d’appel doit trancher sur la nature du droit des cobrevetés.
Analyse
Après quelques questions procédurales, et malgré le fait qu’il y avait déjà eu une décision similaire au cours de cette saga judiciaire, la Cour d’appel souhaite se prononcer sur les conséquences de la cession des droits de l’inventeur à la compagnie.
À l’époque, il n’y avait pas de précédent canadien sur la question. La Cour présente donc ce qui a été décidé dans la common law anglaise, tout en expliquant les raisons pour lesquelles il faut s’en écarter. En effet, les autorités anglaises (tout comme les autorités états-uniennes) ont conclu que chacun des cobrevetés peuvent exercer leurs droits d’exploitation de manière exclusive et ils peuvent concéder des licences selon leur bon vouloir. Cependant, les juristes anglais font une mise en garde et suggèrent de prévoir au contrat une limitation quant à l’exploitation et à la séparation des profits qui lie aussi les futurs propriétaires, non pas seulement les propriétaires actuels.
Au Québec, la Cour indique que les droits de propriété sur les brevets sont indivis. Ainsi, chaque cobreveté est un copropriétaire indivis et possède un droit de véto sur les autres copropriétaires indivis (aussi appelés les « indivisaires »). De même, la Loi sur les Brevets, à l’article 66 (autrefois 67) donne des pouvoirs au commissaire en cas d’abus. De même, la Cour soulève que les cobrevetés doivent partager les profits, ce qui ne semble pas choquer la justice (page 19). Cette approche permet, au final, d’éviter les risques qu’un seul cobreveté concède à tout le monde le droit d’exploiter le brevet, au détriment du droit d’exclusivité des autres cobrevetés. Il est à noter que la législation anglaise est venue corriger la jurisprudence pour éviter ce genre de situation.
Dans notre cas, l’inventeur et le comptable avaient manifestement prévu que les parts de 65 % et de 35 % étaient indivises et qu’ils entendaient une exploitation commune en séparant les profits. Ainsi, le dossier serait réglé même en appliquant la jurisprudence anglaise, qui permet la liberté contractuelle. La Cour d’appel est ainsi en accord avec la Cour supérieure, rejette l’appel et condamne la compagnie à verser la part des profits pour le comptable (et le tiers).
Commentaires
Cette décision de la Cour d’appel du Québec n’a pas été retenue dans l’arrêt Forget v. Specialty of Canada Inc., [1995] B.C.J. No. 1653 de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Tel que mentionné par les auteurs Bergeron et Sapp dans les Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (2011), page 42-43 (voir l’ouvrage), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a préféré appliquer la jurisprudence anglaise, puisqu’appliquer l’indivisibilité entrerait en conflit avec les droits d’exploitation des cobrevetés en vertu de l’article 42 de la Loi sur les brevets. Ainsi, de nos jours, ce serait seulement au Québec qu’il est nécessaire d’obtenir le consentement des autres cobrevetés, le reste du Canada appliquant les autorités anglaises. Bergeron et Sapp mentionnent à la page 43 qu’il demeure toutefois prudent de prévoir les droits au contrat pour éviter tout renversement judiciaire non voulu.
Ainsi, la meilleure pratique reste à prévoir les droits et obligations des cobrevetés dans une entente écrite et claire.
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